II – Là haut sur la colline
La maison de Bartholomé était perchée au sommet d’une colline qui dominait la ville.
Chaque rue et habitation s’étageait en terrasses colorées par des portes et volets aux couleurs pastel. Les lierres et buissons fleuris y ajoutaient une touche de chlorophylle rafraîchissante.
Bartholomé retrouva sa maison, le lieu de toutes ses expériences de chercheur au sommet de la ville. En dehors de quelques expérimentations amusantes avec sa machine à bisous, il s’était spécialisé dans l’amélioration du toi. Non pas de vous, de eux, de nous, de il ou elle, mais de toi. Il va sans dire qu’aujourd’hui «Toi» s’appelait Philomena.
Fulgur tout en se dirigeant vers la terrasse qui leur servait de toit se dit que son maître « du toi » comme un cordonnier mal chaussé aurait bien besoin de Philomena. Il se faufila dans l’entrebâillement de la porte et se figea. Sur la crête du muret qui entourait la terrasse, Crocro était là, lugubre avec sa bande de volatiles éclairés par les lumières de la ville.
Crocro : Croâ
Jax : Croâ, Croâ
Yvan : Croâ, Croâ, Croâ
Tel : Croâ,Croâ.
Les trois corbeaux regardaient Tel d’un air mécontent. Tel se tourna vers eux d’un air surpris et haussa les épaules.
Crocro reprenant : Croâ
Jax : Croâ, Croâ
Yvan : Croâ, Croâ, Croâ
Tel : Croâ, Croâ, Croâ, Croâ ?
Les quatre corbeaux se regardaient en souriant. Ils hochaient délicatement leur tête noire d’un air profondément satisfait.
Au sol, Fulgur aperçu une petite musaraigne qui trottinait insouciante. Approchant silencieusement il se glissa dans l’ombre, seules ses moustaches frémissaient, il levait lentement ses pattes de velours et gagnait insidieusement du terrain sur sa proie. Les corbeaux ne croissaient plus mais regardaient la scène d’un œil gourmand. Cacahuète, car c’était son nom trottinait vers la gamelle du maître de ces lieux, il restait là quelques croquettes à grignoter. Fulgur bondit à la vitesse de l’éclair et s’empara du petit rongeur en découvrant ses dents pointues. Il commença à mordiller Cacahuète puis s’amusa à la lancer d’une patte pour la rattraper de l’autre comme un jongleur.
Crocro l’encouragea :
— Vas-y ne te gêne pas épluche la toute crue cette cacahuète.
Cacahuète qui elle, se démenait et se tortillait s’écria :
— Lache moi Fulgur, tu me chatouilles !
Il répondit :
— Misérable souriceau pour ce soir je me contenterai de croquettes, je vais donc t’épargner.
— Allez espèce de goujat, tu m’en laisses une, j’ai une grande famille à nourrir moi.
— Trêve de bêtises mes amis que s’est-il passé aujourd’hui dans le quartier ?
Pendant que Fulgur écoutait les nouvelles, Bartholomé bricolait tout en préparant le repas. La cuisine était encombrée par son laboratoire à côté de l’évier. Sur une table rustique trônait la machine à bisous une sorte d’usine à gaz en miniature. Son fonctionnement reposait sur la technologie de l’empreinte, cette machine sensible était empreinte d’une humanité profonde. Bartholomé avait recouru à une série de moulages, toute la bande des rousses-pêteuses s’y était prêtée. Ce soir il lui fallait faire son propre moulage puis ajouter les ingrédients. Il hésitait entre faire une bouche en cœur ou un simple sourire, Fulgur qui était rentré discrètement, le regardait faire en se léchant le museau.
Bartholomé utilisa ensuite différentes sortes de fleurs, la rose fonctionnait bien mais il déversa des pétales de frangipanier pour la consistance et ceux d’un flamboyant pour la circonstance.
Le lendemain aux premières lueurs de l’aube, la machine à bisous délivra une série de chapelets de bises volantes qui dévalèrent les pentes de la ville et arrivèrent sur les joues de Philomena comme un alizé parfumé à la frangipane. « Un cadeau en forme d’invitation de la part de Monsieur Marlouf sur la colline. » La collègue de Philomena s’amusait à chantonner :
L’amour, l’amour, c’est le poivre du temps. Une rafale de vent, une feuillée de lune. (M Mouloudji)